Je recrachai sans l’avaler la fumée de ma gitane, tétanisé par le rayon de lumière qui piégeait les volutes blanches. Je distinguais mal la tronche du mec qui sirotait un drink au comptoir. De son pouce il avait remonté le bord de son feutre et découvert un front large, haut, zébrés de cheveux collés par la sueur. À l’autre bout du zinc Babic gérant de paille faisait un Yam avec Pierrot l’ancien taulier. Dix ans plus tôt, pour une paire de valets un peu juste, il avait remis à Manzetti les clés du Paradis bleu. L’homme au front large dénoua sa cravate, desserra le col de sa chemise, indiqua de resservir et Joyce s’exécuta. Il grignotait un mastar, création géniale de Ber, fait d’un petit pain frit et farci d’une couche de tapenade, un quart d’oeuf dur, mousse de pommes de terre fortement aillée et chair de poivrons et oignons grillés. Il s’avança vers Mimo et lui demanda « Una storia d’amore ». Les doigts du pianiste coururent sur le clavier, la voix chaude et éraillée et éraillé du crooner installa le silence dans la salle. Il avait posé le cul sur une chaise et son scotch sur ma table lorsqu’il me demanda si je permettais. J’ai trouvé superflu de répondre, il a vidé son verre, la Barmaid s’est fendue d’un sourire reconnaissant lorsqu’il a repoussé la monnaie, je crois bien qu’il a salué Babic. Lorsque le téléphone a sonné, j’ai quitté le paradis bleu sur « It never… » de Miles, dans la compassion évidente de Joyce qui m’a embrassé plus fort que d’habitude et m’a glissé dans le creux de l’oreille « … fais gaffe à cette charogne ». Rien pour me rassurer… si ce n’est l’érection provoquée par le souffle chaud de la Barmaid.