Cap à l’est, 90 chevaux nous propulsent en direction de Cassis. A hauteur de Callelongue, il réduit les gaz et pointe sur le plateau de la Chèvre. Le zodiac pénètre une langue d’eau transparente qui finit 50 mètres plus loin sur une étroite bande de sable blanc. Bien avant la plage, Casa prend pied sur une rocaille et rehausse les moteurs, je l’imite.L’embarcation allégée franchit quelques écueils, puis changement de direction, sur 200 mètres on glisse dans un couloir d’eau turquoise bordée par de hauts murs de calcaire blanc. Sur la gauche, une brèche ouverte, on s’engouffre. Quelques secondes pour apprivoiser la pénombre, et….
– Terminus ! Lance Casa
L’écho n’en finit plus de répercuter percuter cuter.. Terminus… minus… minus.
Il amarre, rafle une bouteille de Chivas derrière un buste de Saint Antoine, vide 40 bons centilitres et me tend la bouteille.
– Bois un coup !
Scotché par le décor, je prélève une part..
Nous nous retrouvons dans une cathédrale creusée par les eaux. Casa saisit une torche, l’enflamme….et il se confie..
– Le Grand m’a longtemps confié des missions spéciales. Mais moi, je suis un mystique, lorsque j’exécute mon premier client, vingt années d’éducation chrétienne me plongent dans un cauchemar existentiel. Donner la mort, oui… mais avec les saints sacrements. Ça sera le calibre et le bénitier ! C’est mon credo. C’est d’abord par commodité que j’invite mes contrats à un petit tour en bateau. J’accomplis ma besogne et je conduis leur corps jusque dans leur dernière demeure. A chacun sa niche creusée dans la roche. Tu peux les compter, sept rangs de trois étuis mortuaires superposés. Température 12°, comme pour le Roquefort. Voilà le dernier..
D’une marmite creusée dans la rocaille, il remonte une corde au bout de laquelle un pantin blafard perd ses derniers lambeaux de chairs blanchies par le sel. Une grappe de favouilles lâchent prises et replongent. Ce qui reste du corps aussi.
-Tiens, le voilà, c’est Karenka. Ses 2 hommes t’ont mis une raclée hier… Et il rigole…
La roche érodée constitue un sol irrégulier troué d’immenses marmites pleines d’une eau claire, immobile. Six torches accentuent le moment de grâce. Au fond, adossé à la paroi, un autel est dressé. Un christ suintant exhibe des excroissances nourries par les eaux d’infiltration. Casa se dirige vers la table sacrée, allume les quatre alignements de veilleuses qui la recouvrent. Dirigée en contre-plongée la lumière donne au visage du maître d’autel une expression démoniaque. Il est frappadingue mon Casa, mais il a châtié du beau monde.. Politique, immobilier, pègre, … j’avise un sac de jute, je trie et j’emballe les petites affaires des défunts… agendas, portables, carnets…
On fouillera dans tout ça plus tard.
Allez Casa, on se casse. Démarre….
