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8 – Vingt-Deux, voilà Mora !…

Les journalistes ont établi leurs QG, Tabac de l’Evêché et Bar des 13 coins. Le midi, rassemblement général place de Lenche. C’est une cour intérieure bordée sur trois côtés par des bâtisses modestes, le quatrième côté s’ouvre sur le Vieux-Port. La placette nichée en hauteur, s’incline fort et offre une vue magnifique sur la Bonne Mère. Les bistrotiers dressent les tables. 
Déjà, des habitudes sont prises. Au Calambô, on remarque Moracchini et deux de ses hommes. Les médias, à l’agachon, s’installent à la Pizzeria du Panier. Les tables des deux troquets recouvrent la plus grande partie de la Place. Les mains s’agitent, on se salue, on se fait la bise, on se tape dans le 
dos, on trinque, on appelle le garçon, on fait resservir, on questionne sur le plat du jour. Moracchini explique au patron comment il désire manger ses pâtes :
- Ecrases cinq gousses d’ail, fait les revenir dans 4 cuillérées à soupe d’huile d’olive, cuisson 20 ou 30 secondes, pas plus, puis mets-y la poignée de persil que tu auras haché avant, pour finir, ajoute les pâtes al dente avec un peu de leur jus de bouillon, laisse revenir vingt secondes et tu me les sers avec un petit pot de parmesan.
Son interlocuteur opine, mais reviens à la charge,...
- Dites-moi commissaire, c'est pas vous le frère du pauvre casse-couille ?
Il ne répond pas, il est sobre Moracchini. Toujours en noir. Il n'apprécie pas vraiment la plaisanterie.  Il fait ses comptes. Vingt et un macchabées, sept sur lesquels il fait une croix, le temps a fait son oeuvre, identifications impossibles. Dix ont un passé aussi noir que la conscience d’un serial killer, mais que viennent faire dans cette embrouille les dépouilles de deux honorables citoyens qui fréquentaient les salons du Yachting. La lettre anonyme arrivée sur son bureau mentionnait seulement la grotte mortuaire. Une conférence de presse est prévue. 
il saura faire, comme dab. 
A 18h, plusieurs rangs de chaises font face à l’estrade occupée par Moracchini qui tente de caler une fesse sur un coin de bureau. Ses cent soixante dix centimètres rendent l’exercice périlleux, il y renonce. Les journaleux déboulent dans la salle, les régionaux prennent d’assaut le premier rang, les sièges manquent, bousculades, noms d’oiseaux, rappel au respect des lieux, protestations, le commissaire intervient :
- Messieurs ! les conditions de réception de la Presse sont ce qu’elles sont …
Le Fig' embraye..
- Commissaire, ces conditions ne sont pas acceptables, un minimum de respect serait…. 
Un courant corporatiste parcourt les hommes de plume, Moracchini fixe sa montre et lâche :
- En préambule, m'adressant aux parisiens, j'insisterai sur un point. Mon nom est Moracchini. Ça s'écrit avec deux C et un H, mais ça se prononce Morakini. Ensuite, m'adressant aux régionaux, je dirais qu'il est 18 H, l’heure de l’apéro. On serait mieux au Calambo devant un Ricard.. « Qu’en pensez vous ? » …et sans attendre .. Pour ma hiérarchie, on appellera ça une rencontre fortuite suivie d’une discussion à bâton rompu. OK ?
Il avait déjà réussi son coup, divisant  l'assistance en deux camps, ceux d'ici et les autres...
Regards étonnés, murmures, sourires, des pouces qui se lèvent, approbation unanime … Ok, commissaire !
Moracchini charge Grison de téléphoner au Calambo
- On y sera dans vingt minutes, qu’ils nous installent en terrasse, ….Et les tables en U.
- Qu'est ce que ça veut dire « … en U », commissaire
- En U, ça veut dire en U... Vous vous posez trop de questions. Vous verrez, ça se passera bien...  En U, Grison... en U.

Les reporters remontent la rue de l’Evêché. Deux bâtisses de trois étages de part et d’autre d’une ruelle mal goudronnée, des persiennes rongées par le sel, des cordes à linge manœuvrées par des poulies qui grincent, on s’interpelle de fenêtre à fenêtre. Des façades aux crépis laminés, des échoppes pleines des parfums d’autrefois, des clochettes qui retentissent lorsque l’on pousse la porte, des rayons inaccessibles, des perches à pince pour saisir les articles. Dehors, la rue porte l’escouade médiatique vers la Place de Lenche. Une hiérarchie tacite distribue les hommes de Presse autour du commissaire. Moracchini appelle le garçon, commande un Martini, boit une gorgée, sort une gitane ….
- Messieurs, je vous écoute.
Libé et Le Monde se marchent sur les syllabes.- Comment avez-vous eu connaissance de l’information ?
Mora répond sans détour
- Comme vous, on est discret sur nos sources. Dans ce cas, je crois pouvoir vous dire qu’il s’agit d’un courrier anonyme.
Aucun indice n’a été trouvée dans cette lettre qui nous permettrait d’identifier l’expéditeur.
La Provence prend le relais :
- Où en êtes-vous de l’identification des dépouilles ?
- J’ai déjà repris devant vous la liste des 21, rien de nouveau sur ce point, 
Vingt et un cadavres, dont dix identifications impossibles, dix autres étaient connus de nos services, et un honorable citoyen dont je vous livre le nom : Karenka Ferenc 49 ans. Nous ne sommes pas, à l'heure où je vous parle, au stade de l'hypothèse.
Delatouche, l’homme de La Provence, relance :
- A-t-on déterminé le secteur d’activité dans lequel cette  dernière victime évoluait ?
Mora complète :
- On dira qu’il était un homme d’affaires et son business lié à l’immobilier. La brigade questionne les cercles familiaux et professionnels, nous serons bientôt en mesure de vous en dire plus.
Mesdames et messieurs,.... J'ai fini. 
Et levant son Martini....
- A la vôtre..

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