Feuilleton Polar Policier Thriller

6 – La soupe de poissons de Boule

DRIIIIING !!!!!
– Ah, c’est toi Amandine… Rentre, ma chérie
Elle serre fort son visage fripé contre les joues d’Amandine et sonne deux grosses bises.
– Boudiou, que tu es belle ! Assieds toi, minotte, je vais te faire un bon café.
Au quartier, Boule c’était un peu notre maman, mais surtout celle de « la petite ». Roch, son fiston, on l’a trouvé un matin d’octobre devant le MaxiClub, mort d’une overdose. C’était notre pote, il avait 17 ans. Il voulait qu’on l’appelle ROSSI, du nom du père.. qu’il n’avait pas connu. Casa se réfugiait chez Boule, quand enfant, son beau-père, soûl comme un cochon le foutait dehors. Elle ne lui demandait rien, mettait un couvert et réchauffait un morceau de lapin ou une part de polenta.
Les visites d’Amandine la remplissait d’une joie qu’elle contenait toujours en feignant une petite colère.
– Vé ! On voit plus la couleur de mes tomettes, minotte. Enfile les patins !
Tu as mangé au moins ? Viens voir ce que je prépare pour midi : une bonne soupe de poissons !
– Pas la peine que je la vois, on la sent depuis les Cinq Avenues ta soupe ! … et en plus, elle est au feu de bois…
– Je le savais que tu allais venir, petite! j’avais le pressentiment. Assied toi, bois ton café pendant qu’il est chaud, après tu me prépareras les croûtons.

« La petite » illuminait sa vie depuis qu’un soir d’octobre sous une pluie battante, le Grand Manzetti tenant l’enfant par la main, avait sonné à sa porte. Amandine, trempée comme une soupe, avait posé de grands yeux noirs dans les siens,.. et le soleil est entré dans la maison de Boule par ce matin d’orage.
Un bon café, une soupe qui mijote, Boule, pilonnait une gousse d’ail.
– La rouille sera bientôt prête.… Passe à table. Commence par quelques panisses, elles sortent tout juste de la friture.. Fais attention à pas te brûler !
La soupière au centre de la table, Boule plonge la louche, en ressort un jus fumant d’une belle couleur corail.
Tu as encore fait un miracle, Boule. C’est pas un bouillon, parce que c’est assez crémeux, c’est pas épais comme une soupe . Juste ce qu’il faut. Je me régale. Tu as fait une merveille. Comme dab.
Amandine tartine les croutons de rouille et les plonge dans son plat .
– Attention estourdie !… Ah ! toi tu n’as pas changé… Si tu remplis ton assiette à ras bord, t’auras plus la place pour les croûtons.
Amandine fait la sourde, retartine les croutons, recouvre de gruyère râpé et plonge le tout dans la soupe de poissons…. ça déborde…
Et voilà ! Je t’avais prévenu, tu en mets partout !…
elles se regardent…., et éclatent de rire…
– Et toi… ça te fait rigoler … et voilà… Toi, ça te fait rigoler…
Et à rire ensemble de plus belle.
L’air s’est chargé de parfums d’iode, d’odeurs d’ail et de safran.
– Si Casa et Donat étaient là, ils se régaleraient.. . Dis leur de passer à la maison, je les vois presque plus en ce moment.. Et toi … passe plus souvent.
– Tiens, au fait, hier deux hommes sont passés à la maison, ils ont demandé après toi ….
– ils avaient l’air de quoi ?
– Inquiétant, ils avaient l’air inquiétant, tu vois ce que je veux dire…
– Je vois Tatie, mais t’en fais pas, on est là Rino, Donat et Casa …. il peut rien lui nous arriver.
-T’en fais pas, t’en fais pas… tu en as de belles, toi… Deux mecs pas tranquilles te recherchent … et toi ça t’inquiètes pas ?
Amandine la rassure…
– En ce moment, je ferraille avec mon asso contre des promoteurs immobiliers qui veulent installer un programme qui touche au Calanques et en plus sur des terrains qui sont pollués jusqu’aux yeux… alors ça fait un peu des vagues…
Un coup d’œil sur La Provence et les dernières nouvelles de l’OM, « la petite » appréciait, reprenait du souffle. Elle s’arracha vers vingt-deux heures, après deux dernières bises..
– Prends bien soin de toi, et ne t’emboucanes pas dans des histoires fatiguées…
Elle la serre bien fort, lui glisse dans l’oreille…
– Reviens demain, je fais des alouettes sans têtes. Tu les aimes, je le sais..
Après un dernier baiser, elle referme la porte quand la minotte disparait à l’angle du boulevard Guigou..
Le soir était tombé, Amandine récupéra sa caisse. Direction Cinq-Avenue, Rue d’Oran un coup d’oeil vers le bâtiment des stups. .. Quartier de la Plaine, c’était galère de trouver une place… Elle freina devant une borne mobile d’interdiction de stationner, la déposa dans le coffre avant de se garer dans l’espace dégagé. – Galère de trouver une place dans le coin !..
Le vent d’est soufflait en rafales, une chaise en plastique cognait le frigo d’une baraque à sandwiches. Dans moins d’un quart d’heure, il tombera des cordes. La pluie calmait ses angoisses. Elle remonta la fermeture éclair de son Bomber et descendit la rue de l’olivier. Pas de lumière. Lorsqu’elle poussa la porte, le silence et l’odeur du tabac froid l’incitèrent à ouvrir les fenêtres. Calée dans son lit, Elle aimait bien se mêler aux bavardages des émissions télé de fin de soirée. Frédéric Taddéi tentait d’arracher deux mots à Modiano, malgré toute la sympathie que lui inspirait l’écrivain, Amandine lâcha prise pour sombrer dans un sommeil sans rêves.

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